Sylvie, de Gérard de Nerval

Publié le par François

chaalisCe week-end se déroulaient à l'Abbaye de Chaâlis, à Ermenonville (Oise), la 9ème édition des Journées de la Rose.

Une belle occasion pour visiter ce lieu chargé d'Histoire, si important pour la dynastie des Capétiens, mais aussi marqué par la présence tutélaire d'un des grands philosophes des Lumières, Jean-Jacques Rousseau, qui passa ses derniers jours ici et dont on peut encore voir le monument funéraire créé par le grand peintre Hubert Robert, par trop méconnu.

Mais au fond de moi-même, ces lieux, ces noms de lieux (Ermenonville, Châalis, Dammartin) résonnaient d'un autre souvenir.

Ce n'est qu'après avoir flâné parmi les producteurs de roses, créé un parfum dans un atelier ouvert aux apprentis Jean-Baptiste Grenouille, fait un peu de vannerie, visité le musée Jacquemart-André, dont le fond hétéroclite doit probablement servir de réserve au magnifique hôtel particuler du même nom sis à Paris (VIIIème arrondissement), qu'arrivant à la librairie, je tombais sur un bel ouvrage intitulé Sylvie, souvenirs du Valois, composé de photographies en noir et blanc de Philippe François et d'un texte d'un certain Gérard de Nerval.

Et lux fiat : il y a plus de 20 ans, j'avais étudié ce texte pour le baccalauréat. Mauvais souvenir à l'époque, de ce texte qui m'avait semblé parler de manière hermétique de choses qui m'étaient totalement étrangères : l'attachement à une région (le Valois), le goût de la Nature (qui à l'époque se résumait pour moi aux multiples mouches, moustiques et autres araignées qui me tournaient autour quand il m'arrivait de m'y retrouver...), et... d'Amour !

Le narrateur, artiste bohème, vit à Paris et passe ses soirées à l'Opéra pour admirer une chanteuse, Aurélie, dont il est secrètement amoureux. Epris d'absolu, il sait la vie des actrices et que s'en approcher, se serait détruire son amour. Tard, un soir, il tombe par hasard dans le journal sur l'annonce d'une fête des archers dans un petit village du Valois, à quelques lieues de Paris, près duquel il a grandi. Les souvenirs lui reviennent à l'esprit : celui d'Adrienne, altière jeune fille apparue un soir dans une fête de son enfance et la petite Sylvie, jeune paysanne séduisante, sa première amoureuse.

Ni une, ni deux, il décide de se rendre sur le champ à cette fête pour retrouver ce passé soudain revenu à la surface. Le parcours en malle poste est l'occasion de se remémorer d'autres épisodes de son enfance partagés avec Sylvie. Arrivé sur place, il prend peu à peu conscience que les choses ne sont plus telles qu'il les avaient imaginées : Adrienne n'est plus de ce monde, Sylvie, toujours attachée à lui, a cependant bien changé : elle a un soupirant et les repères d'antan se sont peu à peu effacés. Le narrateur erre d'un lieu à l'autre, dort à la belle étoile, évoque la beauté des lieux, enchantés par les souvenirs, le passage des hommes illustres. Mais le désenchantement le gagne doucement, et il comprend peu à peu que ces trois figures de femmes n'en sont qu'une seule et même : Aurélie n'est que la figure actualisée de la défunte Adrienne ,  et il dira d'Adrienne et de Sylvie "c'étaient les deux moitiés d'un seul amour. L'une était l'idéal sublime, l'autre la douce réalité".

L'ensemble du texte, chargé de références philosophiques, littéraires, mythologiques et ésotériques est comme nimbé dans un état de rêve ou de noctambulisme, qui en fait un peu l'essence du récit amoureux halluciné.

Texte court, désenchanté, cette nouvelle est comme un écho au fameux poème El Desdichado, composé quasiment à la même époque que Sylvie, et que je ne peux m'empêcher de citer ici en intégralité :

 

Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule
Etoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le
Soleil noir de la Mélancolie.

 

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La
fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

 

Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène...

 

Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

 

Etrange sensation de se retrouver dans des lieux qui inspirèrent une telle oeuvre à un artiste maudit. Si nulle part l'on n'a vu trace d'Adrienne ou de Sylvie, partout on a senti la présence de Gérard et de son univers sensible et torturé...

 

A lire : Sylvie, souvenirs du Valois, texte de Gérard de Nerval, photographies de Philippe François, éditions Alphonse Eds, 2008, 25 €

Publié dans Littérature

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